11/10/2013

Documentation médicale:l'infobesity,ça se soigne, Docteur ?

Dans le secteur de la santé, on connaît l'importance de la documentation. C'est pour cela qu'on fournit des manuels de 500 pages destinés au personnel médical !

Les équipes de soins ont -surtout dans les hôpitaux français- le temps de s'arrêter, une

tasse de café à la main, pour lire 3 chapitres du guide utilisateur...

Et si, au lieu de leur fournir une documentation inexploitable, on cessait de dégurgiter du texte pour le plaisir (le nôtre, pas le leur...) ?


Evitons l'infobesity !

Selon Dr. JoAnn Hackos : 
 "In fact, the shorter and more lean the text, the more likely it will be read"
En clair, en documentation : ce n'est pas parce que c'est long que c'est bon !

Eliminer, dégraisser... c'est possible !

Eliminer ce qui ne sert qu'à agacer l'équipe médicale (elle a un patient à traiter et ne cherche pas, dans le manuel, ce qu'elle sait déjà), comme par exemple :

Mais bien sûr, le manipulateur radio a vécu ces 40 dernières années dans une grotte de Mongolie inférieure et ne sait pas qu'un voyant vert indique que l'appareil marche !

De  même, il n'est pas nécessaire d'expliquer, plusieurs fois, que pour sortir d'une application, il faut appuyer sur EXIT.


Tout est bon à mettre dans la documentation !

A trop vouloir tout dire, l'utile et le futile, certains rédacteurs se prennent les pieds dans le tapis.

 Ainsi, le mode d'emploi d'un défibrillateur précise, dès la page 5, qu'il faut aller vite : 
 "... les taux de survie liés aux arrêts cardiaques...sont directement liés à la rapidité d'intervention... Chaque minute de délai entraîne une diminution des chances de survie d'environ 10 %"
Bien vu, mais alors pourquoi fournir à l'utilisateur un manuel de 108 pages si l'on n'a que quelques minutes pour sauver une vie ?


Sur-irradié à cause du manuel... en anglais !

Au lieu de se concentrer sur le superflu et l'inutile, il est préférable -en matière de matériel médical- de s'impliquer dans la traduction des documentations dans la langue de l'utilisateur. Cela évitera de graves accidents.
 

Il a donc fallu plusieurs décès et des centaines de personnes mutilées pour que les autorités sanitaires rappellent aux fabricants leur obligations. 

Dans sa note d'août 2007, l'AFSSAPS  rappelle  dans son "AVIS AUX FABRICANTS DE DISPOSITIFS MEDICAUX DE RADIOTHERAPIE" , l'article R. 5211-20 du Code de la Santé Publique qui stipule que la notice qui accompagne le dispositif médical  et toute information relative à son fonctionnement doit comporter une version rédigée en français.

Il était temps... puisqu'un autre problème de sur-irradiation faisait ressortir que

  " Les appareils avaient été là aussi mal réglés car le manuel d'utilisation était en anglais. "

La norme et ses contraintes 
Trop souvent, le rédacteur oublie de penser d'abord à son utilisateur. Il préfère suivre aveuglément la norme.

Ainsi, la norme IEC 62 083 indique, dans son annexe A : "Les INSTRUCTIONS D'UTILISATION et la description technique doivent contenir toutes les informations nécessaires pour effectuer sans risque: les opérations ... d'installation, d'utilisation et de maintenance du  matériel..."
Le rédacteur distrait composera donc un beau, gros manuel -499 pages seulement- incluant une Introduction, un A propos de... (ou Aperçu), une section Généralités (dans laquelle il noiera une information capitale) puis une section Installation (surtout si le matériel est volumineux et très compliqué), suivie d'une section "Consignes de sécurité" (24 pages d'avertissements). Il abordera alors la partie "Utilisation". On sera alors à la page 189.

A ce stade, il s'apercevra qu'il manque une section "A propos de ce manuel" dans laquelle il décrira les conventions typographiques, les icônes et autres futilités.

Lorsque le manuel aura atteint la page 250, le rédacteur formé au minimalisme lui expliquera que tout cela est INUTILE et que l'utilisateur a besoin de trouver, dans la minute qui suit, une  information précise sur la mise à zéro des données du patient avant traitement... C'EST TOUT !

Et la norme ?

C'est exactement ce que dit la norme : fournir les "informations nécessaires pour effectuer sans risque les opérations d'utilisation du matériel".


La documentation ne doit contenir que ce dont l'utilisateur a besoin ; un médecin n'a pas besoin des guides d'installation (parce que c'est le fabricant qui procède à l'installation) ni du guide de maintenance (le fabricant doit s'en charger). Ou alors voulez-vous vraiment que le médecin  revienne le dimanche s'occuper de la maintenance de son scanner ?

C'est pourquoi le rédacteur qui met en avant les besoins de son utilisateur créera SEPAREMENT :
  • un manuel d'installation (destiné au représentant du fabricant chargé de l'installation) 
  • un manuel de maintenance pour le technicien qui vient régulièrement vérifier les paramétrages et l'usure du matériel.

La bonne blague espagnole 

Ne manquons pas cette petite histoire de documentation pharmaceutique inadaptée... celle des notices diffusées en espagnol pour le personnel médical anglophone (et en
Grande-Bretagne).

Comme le fabricant n'avait plus de notices en anglais, il a envoyé les notices en espagnol ! 


Il faut juste espérer que les hôpitaux britanniques avaient assez d'infirmières espagnoles à disposition !

C'est certainement une nouvelle version de ce que l'on appelle "parler anglais comme une vache espagnole "


Minimalisme appliqué à la documentation médicale

Pour un exemple de mise en place des principes du minimalisme pour la documentation médicale, vous pouvez suivre cette présentation faite à la Scientific Conference on Strategic Development and Performance in Healthcare Institutions en janvier 2013.

02/10/2013

Aéronautique & documentation minimaliste : go or no go ?

Dans le nucléaire, on peut appliquer sans hésitation les règles de la documentation minimaliste.

Soit, mais pas dans l'aéronautique, sacrebleu !


Pas besoin de minimalisme ? C'est à voir...

Ainsi, en 2005, AIR FRANCE, dans sa démarche pour "simplifier les procédures des équipages" a fait une refonte du "manuel d'exploitation" ... qui a été "complété, 3 semaines plus tard par deux cent cinquante-cinq (255) pages de mise à jour et de corrections"... 

Mais ce n'était pas du goût du porte-parole du Syndicat national des pilotes de ligne : 

"Quand vous avez une documentation pléthorique, des dizaines de pages superflues, les pilotes ne peuvent pas se reconnaître dans ce qui doit être le socle d'une culture commune"(*)

C'est là le coeur de la démarche minimaliste : ne donnez à l'utilisateur que l'information dont il a besoin. Pourquoi lui fournir une documentation volumineuse si elle n'est pas exploitable
  

Du volume, sinon rien !

Ce même phénomène est relevé dans le rapport d'accident du vol TAM à l'atterrissage sur l'aéroport de Sao Paolo : 
"The A-320 manuals have lots of pages and are hard to consult,mainly during the flight"
Effectivement, ce n'est pas le volume de la documentation qui la rend utile, mais son accessibilité. Est-il facile d'obtenir l'information sur les "reversers" lorsqu'ils ne fonctionnent plus ? Combien de pages et de chapitres
feuilleter avant d'avoir exactement la procédure de secours ?

 

Très, très significatif également, le rapport d'accident du vol 1549 qui, après
décollage de La Guardia, a dû amerrir dans la baie de l'Hudson.   

L'excellent capitaine Sullenberger a suivi les procédures et, en duo avec le co-pilote, a pointé la "check-list".

Toutefois, heureusement qu'il ne soit pas allé jusqu'au bout des listes de pointage, parce qu'il aurait terminé sa course au fond de l'Hudson :

"However, according to post-accident interviews and CVR data, the flight crew did not complete this Checklist, which had 3 parts and was 3 pages long; although they were able to complete most of part 1, lack of time precluded starting Parts 2 and 3."
C'est là un des points-clés d'une formation au minimalisme : est-ce que la documentation est utile à l'utilisateur dans son environnement de travail   ?

C'est ce que Dr. Hans van der Meij appelle "Anchor the tool in the task domain". 


Terminologie ? un gadget négligeable !

 La terminologie... quantité négligeable aux yeux de certains.

En s'arrêtant sur la liste des rapports d'accidents et incidents publiée sur le
site de SkyBrary (initiative EUROCONTROL), on découvre, dans le rapport d'accident sur l'aéroport de Hambourg, un sérieux manquement en terminologie :

 "The terminology maximum crosswind demonstrated for landing was not defined in the Operating Manual and in the Flight Crew Operating Manual, and the description given was misleading“
Il semblerait que l'équipe de documentation ait oublié, ici, que la terminologie doit être CONSTANTE et COHERENTE !


Procédures ?... vous avez dit procédures ?

Non seulement les pilotes, mais les ATC (contrôleurs aériens) sont confrontés à une documentation défaillante. 

Ainsi, suite à un incident grave sur l'aéroport de Zurich-Kloten, les enquêteurs découvrent avec horreur que :

"the Zurich procedures contained no detailed description of how to manage simultaneous use of runways 16 and 28 for departures."
Le Bureau Fédéral de l'Aviation Civile Helvétique recommande donc que :

"the operator and users of Zurich airport should carry out a comprehensive analysis of the operating procedures and take all appropriate measures to reduce complexity and the systemic risks."
 Analyser les procédures pour suivre les actions à accomplir, analyser les
tâches de l'utilisateur et surtout mettre tout en oeuvre pour rendre le document clair et immédiatement utilisable, voilà les véritables mots d'ordre du rédacteur "minimaliste".


Produire de la documentation au kilomètre n'est PAS du digne d'un bon rédacteur technique ; mettre  toute son énergie pour fournir une documentation exploitable, immédiatement utilisable et sans ambiguité  est la caractéristique du rédacteur formé au minimalisme, celui qui ne donne que l'information dont on a besoin !
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(*)  Extrait de "La face cachée d'Air France", 
p. 96--97, auteur : Fabrice Amedeo